Pr. Hubert Ripoll
La préparation mentale est devenue incontournable dans la préparation des sportifs. Le temps est révolu où ceux-ci se cachaient d’être accompagnés par un « psy », jusqu’à considérer aujourd’hui que l’on ne peut pas réussir à un très haut niveau si l’on n’est pas accompagné.
Les préparateurs mentaux ont en effet réussi dans deux domaines qui étaient réservés aux entraîneurs et qui ne semblaient pas devoir échapper à leur totale emprise. Ils concernent le contrôle et la gestion des émotions, d’une part, et la maîtrise de la cohésion sociale, d’autre part. La compréhension des processus impliqués et les méthodes mises en œuvre pour y parvenir semblent aujourd’hui clairement définies. Certes des progrès sont encore réalisables, mais, sauf à changer radicalement de modèle de référence, comme ce fut le cas lors du passage des méthodes cliniques aux méthodes cognitivo-comportementales – ce que l’on n’imagine pas aujourd’hui – je ne pense pas que l’on ne puisse attendre plus que des améliorations mineures, mais certainement pas de grands changements. Le champ d’intervention de la préparation mentale serait-il – temporairement – fini ? Je ne le pense pas. D’autres avancées sont encore possibles hors de ces deux domaines, que je vois dans notre capacité à permettre aux sportifs de mieux contrôler leur système nerveux pour améliorer leurs performances.
Certes nous le faisons déjà lorsque nous intervenons, via la relaxation, la sophrologie, la méditation, et beaucoup d’autres techniques, sur les états mentaux et les niveaux de conscience. Mais à mon sens, beaucoup trop globalement. Il me semble possible d’aller plus loin, et surtout plus spécifiquement, en fonction de chaque sport.
Cette conviction est née des observations faites au cours de mes activités, menées parallèlement d’entraîneur et de chercheur en neurosciences. Lorsque l’on mime en laboratoire des situations de terrain en reproduisant une partie des contraintes informationnelles des situations sportives, on observe, chez les sportifs de très haut niveau, via des mesures directes et indirectes de leur fonctionnement nerveux, des adaptations spécifiques qui expliquent, en partie, leurs exceptionnelles performances sur le terrain. On observe parallèlement qu’une préparation mentale appropriée aux contraintes des situations de laboratoire modifie le fonctionnement nerveux et améliore les performances produites en laboratoire. Ces observations m’ont convaincu qu’il est possible, en identifiant finement les contraintes informationnelles des activités sportives et les niveaux de conscience impliqués dans chaque sport, de préparer mentalement et fonctionnellement les athlètes à mieux gérer celles-ci, à mieux contrôler leur fonctionnement nerveux, et, par conséquent, à améliorer leurs performance sur le terrain.
Cette démarche n’est pas nouvelle en soi. Nous l’utilisons par exemple dans la gestion des interruptions de jeu, en sports collectifs, en tennis, en escrime… pour lesquels la préparation mentale permet de contrôler les différents états mentaux pour passer de l’état de tension au cours du match, à l’état de calme, et revenir à l’état d’éveil optimal à la reprise. Mais il convient d’aller plus loin en systématisant cette méthode pour chaque sport, et notamment pour ceux qui nécessitent de traiter et de contrôler une grande quantité d’information. Le golf implique, par exemple, plusieurs états mentaux qui correspondent à différentes séquences comportementales mises en œuvre tout au long de la partie et qui exigent une adaptation nerveuse spécifique. Il en est de même dans tous les sports informationnels qui combinent de la vitesse, de la précision et de l’incertitude, le tout cumulé sur une longue durée.
Il convient d’abord de systématiser des méthodes d’observation et d’intervention. Celles-ci impliquent : un travail d’investigation mené de pair avec les athlètes et leurs entraîneurs afin d’identifier les contraintes des sports et les demandes correspondantes pour le système nerveux. L’exploration des sensations de l’athlète, la conception des bonnes intentions d’action, la simulation des états de conscience appropriés à leur gestion. Leur mise en pratique virtuellement, via la préparation mentale, et réellement, au cours de l’entraînement. L’analyse des retours d’expérience en compétition. Soit tout un programme spécifique d’organisation de la préparation mentale.
Le fonctionnement en réseau rendu possible par les technologies de communication actuelles permettent à une communauté de praticiens de construire ce corpus d’expériences nécessaire à l’élaboration de ces méthodes d’intervention.
Tel est le défi qui me semble être à notre portée.